Créatif, prolifique et en marge du système, Damien Saez mène sa
carrière loin des médias et du show-biz. À l’occasion de la sortie de
son très attendu prochain album Miami, le chanteur nous a reçus dans son
studio d’enregistrement, à Paris.
Son prochain album, Miami, est en phase de bouclage. Mais Damien Saez
a pris le temps de recevoir les jeunes correspondants de l’Humanité en
studio d’enregistrement. «Il est 8heures du soir, j’ai dormi tout le
jour», entonnait le chanteur dans le single qui l’a révélé au grand
public, Jeune et Con, sorti en 1999. Fidèle à lui-même, il est arrivé
avec une heure et demie de retard pour notre entretien, après avoir
«dormi tout le jour», précise-t-il, gêné de nous avoir fait attendre. Il
se sert un café et c’est parti pour un entretien de deux heures.
Souriant et très disponible, il évoque son prochain album, Miami, qui
paraîtra en mars, et sa tournée à venir. Le chanteur, qui a si souvent
couché les mots de sa révolte dans ses chansons, nous parle de son idée
d’indépendance artistique, mais également de la place de ses
engagements, des médias…
Pourriez-vous nous parler de votre nouvel album, Miami ?
Damien Saez. J’ai commencé à travailler Miami
pratiquement en même temps que l’album J’accuse (en 2009 – NDLR). J’ai
voulu séparer les deux parce que la forme était différente. Les titres
qui se développaient sur Miami avaient une entité à part entière. Puis
ce travail s’est élargi et, finalement, Messina est revenu un peu à la
charge donc j’ai préféré sortir Messina (septembre2012) d’abord, et
Miami ensuite. J’accuse et Miami ont peut-être un côté plus juvénile,
comparés à Messina, qui a quelque chose d’un peu plus adulte.
Quels sont les thèmes que vous avez voulu aborder ?
Damien Saez. On va dire que Miami est assez sexuel. Il n’y a pas trop de pathos. Il parle plus au corps qu’à la tête.
D’autres sujets seront-ils traités dans ce nouvel album ?
Damien Saez. Oui, quand même. C’est compliqué pour
moi de répondre parce que je ne suis pas bon en explication de texte.
Cet album, il a la force du chewing-gum. Si je le compare à celui
d’avant (Messina), c’est comme aller au McDo après avoir fait un
pot-au-feu chez soi.
On n’est pas sur le même registre. On ne parle pas de la même chose.
C’est la différence qu’il peut y avoir entre un bon vin et un Coca. Ça
ne veut pas dire que ce n’est pas bien, c’est juste différent,
américain…
S’agissant de l’écriture, qu’est-ce qui vous a inspiré à part l’Amérique ?
Damien Saez. En fait, c’est bizarre, pour écrire
l’album, j’ai plutôt pensé à la représentation que peut se faire un
gamin largué ici de l’Amérique. C’est la vision qu’on se fait de Miami.
À Miami, il y a une petite île qui s’appelle Miami Beach, qui a un côté
un peu superficiel. Et puis, tout près, comme dans toutes les villes
aux États-Unis, on trouve le quart-monde. Ça ne fait pas la fête, il y a
beaucoup de drogue, de misère. Il y a un aspect qui est vraiment dur.
La vision que peut se faire le mec de Roubaix ou d’ailleurs de Miami, je
la trouve plus intéressante. C’est comme un clash. Il y a l’image que
les États-Unis veulent bien renvoyer, et généralement leur impérialisme
fonctionne bien. Ils arrivent à vendre l’image dont ils savent qu’elle
séduira à l’extérieur.
Les États-Unis renvoient une image rebelle des Américains alors que,
bien souvent, ils sont réacs. J’ai pensé à ce que peut ressentir un
Français qui voit ça. On a une fausse image de Miami, ça reste quand
même un grand Juan-les-Pins, une station balnéaire. La Floride, c’est un
truc de maisons de retraite.
Vous êtes très autonome dans votre manière de fonctionner. Est-ce important de vous autoproduire ?
Damien Saez. Ça l’est devenu parce que ça évite des
conversations inutiles. Je ne suis pas un super-producteur en termes
financiers. Il n’y a pas beaucoup de bénéfices à la fin. Mais c’était
surtout le fait de partir de chez Universal à l’époque qui était
nécessaire. Un producteur, s’il a une enveloppe pour réaliser un disque,
une partie de celle-ci va servir à rémunérer l’artiste. À la fin, s’il
reste quelque chose en plus. Pour moi, ce n’est pas tout à fait pareil
dans la mesure où je ne me rémunère pas, car quelque part, c’est pour la
même cause.
Aucun de mes disques ne rapporte d’argent. Sur la globalité, ce n’est
pas très grave. Car, en fait, on arrive à gagner sa vie avec les droits
d’auteur. Je ne suis pas vraiment producteur dans le sens où j’ai
décidé que le disque était un outil pour livrer mes chansons. Il fallait
passer le plus de temps possible à la création de la musique et pas
simplement réfléchir à comment la vendre, comment en tirer quelque
chose.
L’affiche de votre prochaine tournée «Miami Tour» montre un
phallus composé de billets de 500 euros. Doit-on y voir un clin d’œil à
la censure qui avait été faite pour l’affiche de votre album J’accuse ?
Damien Saez. Oui, je trouvais ça drôle, et puis
c’est un peu ça quand même aussi, la domination. Et l’attirance qui peut
y avoir pour cela. Si l’on prend l’affiche de J’accuse (qui dénonçait
la société de consommation en montrant une femme nue dans un chariot de
supermarché– NDLR), on s’aperçoit qu’il y a des différences entre les
perceptions du féminisme. Une perception qui dit : «Oui, cela nous fait
du bien, à nous femmes de voir ça», et le point de vue contraire et un
peu teinté d’hypocrisie, qui rejette cette image. Ce sont deux façons
de la lire. S’agissant de l’affiche montrant un phallus, ce qui est
intéressant, c’est que cela pose exactement la même question. Il y a
quand même beaucoup de femmes qui, contre l’argent, sont prêtes à vendre
leur image pour une voiture, pour un cornet de glace, etc. Pour les
hommes, c’est pareil, sauf que l’on vend plus avec les femmes.
Si on regarde le cumul sur la planète du nombre d’agences de
mannequins, de sites pornos, on ne parle pas seulement de deux cents
personnes qui acceptent ce système et qui marchent avec, mais de bien
plus. Ce n’est même pas un jugement, la question n’est pas qu’elles
aient tort ou raison, c’est qu’il y a quand même là-dedans le symbole de
l’argent, qui est d’ailleurs un terme masculin. C’est bizarre, pourquoi
c’est «l’argent» et «une monnaie», «l’océan» et «la mer» ? Pourquoi il y
en a un qui est féminin et l’autre masculin ?
Vous faites souvent références à des personnages féminins :
Marie, Marilyn, Debbie… Qui est Betty, que l’on découvre dans Messina ?
Damien Saez. L’addiction. J’adore les prénoms parce
que cela évoque toujours quelque chose. Par exemple, Marie, sur cet
album, était également présente sur Debbie (2004). J’aime bien quand des
mots reviennent parce que ce n’est jamais que tenter d’écrire son
histoire. Plus il y a de prénoms, plus j’aime. Comme dans un roman, cela
ramène au réel. Utiliser un prénom, c’est simple et fort. Il y avait un
disque de Brel où il n’y avait que des prénoms : Madeleine, Mathilde…
On retrouve ça chez Brassens qui utilisait aussi beaucoup de prénoms.
C’est une manière efficace d’évoquer immédiatement le réel.
Comment expliquez-vous que la musique classique occupe une place importante dans vos albums ?
Damien Saez. Je viens de là. J’ai fait le
conservatoire avec lequel j’ai grandi. Je mélange beaucoup, chansons
rock, classique, ça dépend des albums. Mais je ne fais pas du rock
épique avec orchestre derrière, etc. J’aime bien commencer les disques
par un côté universel et les terminer en allant vers l’individuel. C’est
le cas de pas mal d’albums et de films. Souvent, on entre dans
l’histoire puis on va vers le personnage. Sur Messina, le premier disque
est plutôt tourné vers l’extérieur, et il se termine par une partie
plus classique. La première chanson est Fin des mondes et il se termine
par Châtillon-sur-Seine, une petite ville de campagne. On n’est jamais
plus universel que quand on arrive à toucher au moi le plus intime.
Y a-t-il des artistes de la scène actuelle dont vous vous sentez proche, voire qui vous inspirent ?
Damien Saez. M’inspirer, non. J’ai passé trois ans
sans sortir d’une grotte, je ne sais pas ce qu’il se passe, je n’ai rien
vu. Je n’ai plus de rapport à la musique comme auditeur, c’est un peu
horrible. Ce serait bien, après la prochaine tournée, de prendre un peu
de temps pour moi, pour me nourrir d’autres choses. Mais si tu ne lis
plus de bouquin tu ne te nourris plus des autres, tu n’es que
nombriliste, et ça peut poser un gros problème de patinage. Le fait
d’être cloîtré pour se mettre sur l’ouvrage, c’est comme sculpter
quelque chose, il faut faire le sacrifice du temps et aller à la mine.
Quand je dis trois ans, c’est sans day off, pas de Noël, pas de
dimanche, ce n’est rien d’autre que se lever, venir, repartir, se
coucher.
J’accuse, Messine et Miami en trois années, ce n’est pas simplement
la sortie de dix chansons, c’est plutôt de l’ordre de la cathédrale,
réussi ou raté, c’est autre chose, mais tu pars dans un truc extrêmement
violent au niveau du travail et du don de soi.
Vous parvenez à remplir les salles –la date du 19avril au
Zénith de Paris est déjà complète– sans promo ou presque auprès des
médias. Comment expliquez-vous un tel succès ?
Damien Saez. Être droit et être le seul droit, c’est
ce que j’essaie d’être. Le mot artiste est un mot qui m’énerve. Mais je
pense être le seul depuis quelque temps qui ait pu se dire : je ne
ferai jamais de partenariat télé ni de publicité télé.
Comment choisissez-vous les médias dans lesquels vous voulez apparaître ?
Damien Saez. Je ne les choisis pas, ça ne
m’intéresse pas. La presse écrite, c’est une chose, car, au moins, il y a
quelqu’un qui prend du temps et va écrire quelque chose avec un point
de vue. Ce n’est pas être utilisé au sein d’une pièce de théâtre dont on
n’est pas maître. On n’est plus à l’époque de Gainsbourg où, en direct,
il parvenait à retourner le truc à son avantage. Les radios jouent les
titres si elles le veulent. Il n’y a pas eu de single sur Messina, cela
n’a pas empêché les gens d’y avoir accès. Comment expliquer le succès ?
En étant un peu arrogant, je dirais le talent. Il ne faut pas se baser
uniquement sur la communication, mais sur rien d’autre que l’objet
disque. C’est un peu comme un artisan qui a des clients fidèles. Ils
aiment sa façon de fabriquer, avant même de voir l’objet. Ils aiment que
je ne les gave pas à donner mon avis partout. Ils apprécient que Damien
Saez, ce soit ça.
Vous avez dit que, pour être un artiste, il fallait être engagé. Est-ce une obligation ?
Damien Saez. J’ai dit ça ? (Rires) Ce qui est sûr,
c’est que dès qu’il y a œuvre, il y a engagement. Après, l’engagement
politique, c’est autre chose. On m’a très souvent dit : «Vous êtes
engagé.» Je ne le suis pas spécialement. Aujourd’hui, tu parles de
quelque chose de social et tu es engagé. Ainsi (il attrape son disque
Messina) que ce soit Fin du monde, les Échoués et Faut s’oublier, les
trois chansons parlent du SDF qui dort devant le studio
d’enregistrement. Parler de lui, est-ce que c’est être un artiste
engagé ? Fils de France est un engagement politique plus fort. Mais il
n’y a rien de plus beau qu’une chanson d’amour quand même. C’est un
engagement aussi.
Justement, vous parliez de Fils de France (chanson composée
en 2002 en réaction à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de
la présidentielle– NDLR). Depuis, comment jugez-vous l’évolution du
pays ?
Damien Saez. C’est pire. Les idées d’extrême droite
se sont banalisées. C’est-à-dire que, dans ce spectacle-là, on accepte
plus de choses. Également parce que le deuil du politique est beaucoup
plus grand aujourd’hui. Il y avait plus de réactions il y a vingt ans
parce qu’il y avait plus d’attentes réelles. On pouvait y croire un peu.
Aujourd’hui, un gamin pense : «De toute façon lui, elle…» Je pense
qu’ils n’ont pas de répercussions sur les gens. C’est-à-dire, ils savent
très bien qu’entre Obama et Bill Gates, il y en a un qui attend le
rendez-vous de l’autre, et ce n’est certainement pas Bill Gates qui
attend. Là, c’est réglé. Le politique est perçu comme moins fort que
l’économique. Ce que ça révèle, c’est que l’élection a moins de pouvoir
qu’Elf Aquitaine ou Total. C’est très grave sur le concept même.
Vous voulez dire que les hommes politiques n’ont plus de marge de manœuvre ?
Damien Saez. Par rapport à l’économique, non. Ils
parlent des lois sur les banques en ce moment. Dans les années
soixante-dix, l’écart de salaire entre le PDG et le salarié de base,
c’était à peu près trente fois. Aujourd’hui, c’est mille fois le
salaire du mec de base. Déjà ne pas avoir de lois là-dessus, ce n’est
pas normal. Deuxièmement, ne pas mettre de plafond à des bénéfices.
Pourquoi ça ne se fait pas ? S’il y a une question à poser à François
Hollande, ce serait celle-là : «Qu’est ce qui fait que vous ne faites
pas cette loi limitant le salaire du PDG d’une boîte par rapport à
l’employé de base ?» Mille fois le salaire, c’est de l’esclavagisme !
Pourquoi ça ne change pas ? Parce qu’ils ont peur. Surtout quand on
s’est fait élire avec une espèce de discours sur les banques, sur le
changement, sur le mode, il y en a marre de la finance. Et alors ? C’est
où ? La loi sur la finance, ça n’est pas simplement dire qu’il faudrait
un petit peu changer. Si on regarde le monde, c’est inadmissible,
idéologiquement. Ce n’est même pas une question de morale, c’est du sens
humain. C’est se dire que si on continue comme ça, c’est la fin.
Le Miami TOur
Miami, le nouvel album de Damien Saez, sortira le 18mars, chez Cinq7,
seulement six mois après la parution du triple album Messina. Cet opus
sera composé de titres en français et en anglais. Damien Saez a hâte de
retrouver la scène. Sa prochaine tournée, le «Miami Tour», sera «un vrai
voyage», promet-il. Il débutera par le Zénith d’Amiens le 19mars. Puis,
il passera par Strasbourg (Zénith) le 23mars, Bordeaux (Médoquine) le
27mars, Marseille (Le Dôme) le 30mars, Lyon (Halle Tony-Garnier) le
4avril, Genève (Thonex) le 5avril, Lille (Zénith) le 10avril, Paris
(Zénith) les 18 et 19avril, Bruxelles (Ancienne Belgique) les 23 et
24avril, Rouen (Zénith) le 23mai… Damien Saez sera au festival Garorock
le 29juin, au Main Square Festival le 6juillet et aux Francofolies de
LaRochelle le 14juillet.
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